• La fin mystérieuse de Charles d’Amboise

     La fin mystérieuse de Charles d’Amboise

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    Tous les chroniqueurs de l’époque sont d’accord: jamais on ne vit plus abominable massacre. Jamais on ne vit plus de sang, de cervelles et d’entrailles répandus dans les rues d’une cité.
    Cela se passa le 25 mai 1479.
    Ce jour-là, à six heures du matin, les habitants de Dole, qui était assiégée depuis trois mois par les troupes royales commandées par Charles d’Amboise, entendirent soudain " grand fracas et grandes rumeurs ": un groupe d’Alsaciens venait de pénétrer dans leur ville " par ruse et félonie ".
    Aussitôt, par ces traîtres, la herse fut relevée, le pont-levis descendu et la résidence préférée des ducs de Bourgogne livrée aux soldats de Louis XI.
    Tremblant de peur au fond de leurs maisons, les Dolois entendirent d’abord un piétinement de chevaux et des cliquetis d’armure, puis une voix terrifiante leur parvint, une voix inhumaine qui hurlait:
    - Tuez-les tous !
    Terrorisés, la plupart allèrent se cacher dans leurs caves. Quelques-uns, pourtant, voulurent voir le visage de cet homme qui les condamnait ainsi à mort. S’approchant des fenêtres, ils aperçurent par les fentes de leurs volets, un cavalier " aux prunelles étincelantes " qui, debout sur ses étriers, incitait ses hommes au carnage.
    C’est de la sorte que les Dolois virent pour la première fois ce prince diabolique, connu dans le royaume pour son goût du sang, ce grand favori de Louis XI, cette bête humaine sans pitié aucune dont le nom faisait trembler de peur des provinces entières: Charles d’Amboise.
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    Parcourant les rues sur son cheval noir en lançant ses cris de mort, il arriva bientôt devant l’église Notre-Dame où des compagnies doloises d’archers et d’arquebusiers tentaient de se défendre. Alors, avec un gros rire, il hurla:
    - Tuez-les tous ! Qu’il n’en reste pas un ! … Je veux voir le sang des Comtois couler comme une rivière dans les rues de Dole … Allez ! Tuez-les ! Tuez-les tous !
    Les français se ruèrent aussitôt sur les maisons, enfonçant portes et fenêtres, et le prince donna le signal du massacre en faisant sauter la tête d’une femme d’un coup de hache.
    Immédiatement, ce fut la ruée. Jamais on ne vit pareille boucherie. Pendant quatre heures, on tua, on viola, on éventra, on fit éclater des crânes à coups de masse. Des familles entières furent passées au fil de l’épée, d’autres brûlées vives dans des caves (dont l’une sera appelée Cave d’Enfer) … Il y eut des cadavres partout. On pataugeait dans le sang, dans les boyaux et les débris de cervelle …
    Vers dix heures, les soudards les plus féroces, les plus cruels, commencèrent à se lasser de tuer. Mais Charles d’Amboise, Charles le satanique, dont la cuirasse était rouge de sang, les excitait. Les yeux hors de la tête, la bave aux lèvres, il s’égosillait:
    - Tuez, tuez ! …
    Et la boucherie continua. Quand on n’eut plus d’épée, on égorgea, on poignarda, on assomma, on étrangla. Il n’y eut bientôt plus personne à exterminer.
    Alors Charles d’Amboise s’en prit aux cadavres. Comme il n’y avait plus personne de vivant, il coupa la tête des morts; et cette épouvantable besogne l’amusa. Il hurlait de rire:
    - Regardez-les, ces vers de terre ! criait-il.
    Tandis qu’il s’acharnait sur son vingtième corps décapité, un soldat vint lui apprendre qu’un groupe de Dolois s’était réfugié sur une maison. Il se redressa, l’œil mauvais, et allait s’y précipiter quand il se ravisa:
    - Qu’on les laisse pour graines ! dit-il. Ils feront des petits que nous aurons plaisir à venir tuer dans dix ou quinze ans ! …
    Le lendemain et les jours suivants, Charles d’Amboise, poussé par une véritable folie meurtrière ( ses contemporains diront: " possédé par l’Ange du Mal "), va continuer à incendier des villages, à violer et à occire de malheureux Comtois par centaines. Pendant tout le printemps 1479 et pendant tout l’été et pendant tout l’automne, inlassablement il va tuer " avec un sourire de loup ".
    L’hiver le ramènera auprès de Louis XI qui en fera son conseiller et le gouverneur de la Bourgogne. Mais, dès les premiers beaux jours de 1480, il repartira, l’épée à la main, affamé de cadavres et assoiffé de sang.
    En le voyant passer avec ses yeux verts trop brillants, son visage triangulaire et ses longues mains fines, les gens disent:
    - C’est le Diable !
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    A la fin de l’année, il décide de se rendre dans son château de Chaumont-sur-Loire pour y organiser une fête. Mais à Tours, un mal le terrasse soudain. Transporté dans un manoir voisin, il s’alite, ruisselant d’une sueur fétide, et se met bientôt à pousser des cris horribles … Les médecins accourent et veulent l’ausculter. Il les injurie et continue à hurler de douleur. Il fait des bonds, des soubresauts sur sa couche. " Il se tord, nous dit un témoin, comme s’il était la proie des flammes. " Finalement, il entre en agonie. Une agonie si étrange, si peu naturelle que les gens qui l’approchent ne cessent de faire des signes de croix. Or, ces gestes semblent, non seulement l’épouvanter, mais le faire souffrir. Il émet des plaintes effroyables, inhumaines, qui font penser, tantôt à des hennissements, tantôt aux cris d’un porc qu’on égorge.
    Après quoi, il hurle des blasphèmes, insulte Dieu, injurie les saints, outrage la Vierge et maudit le pape, à la consternation de son entourage. On pense alors sérieusement qu’il est possédé du démon. Des moines viennent pour l’exorciser. Il les repousse grossièrement, leur crache au visage et prononce tant de phrases sacrilèges que les malheureux se sauvent, épouvantés …
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    Enfin, le 14 février 1481, après une crise de convulsions qui le jette presque hors du lit, Charles d’Amboise meurt. Il a sur le visage un rictus si repoussant que personne n’accepte de veiller son cadavre.
    Trois jours plus tard, on va l’enterrer. Pour ce personnage considérable qui est conseiller intime du roi, gouverneur général de l’Ile-de-France, de la Champagne et de la Bourgogne, c’est-à-dire l’un des plus hauts dignitaires du royaume, des obsèques solennelles ont lieu en l’église des Cordeliers d’Amboise. Il y a là, sous un dais, l’évêque d’Albi, frère du défunt, des princes, des abbés mitrés et des pénitents en cagoule.
    A l’autel, un cordelier dit la messe des morts.
    Mais voilà que, soudain, au moment de la consécration, ce moine se met à gesticuler. Les assistants, stupéfaits, le voient agiter les bras comme s’il repoussait quelque chose ou quelqu’un d’invisible. Plusieurs fois, il descend et remonte les marches en trébuchant. Puis il s’arrête, adossé au tabernacle, l’air terrifié. A ce moment (il le racontera plus tard) une voix qu’il est seul à entendre, lui clame à l’oreille.
      – Arrête, prêtre, arrête ! Ta messe est inutile ! Sans objet ! Risible ! … Ce damné est déjà chez moi, corps et âme … A quoi bon bénir un cercueil vide ! … Car ce cercueil est vide ! …Vide !
    Le pauvre cordelier, l’espace d’un instant, croit voir devant lui un personnage grimaçant. Tremblant, livide, il se signe, descend les degrés de l’autel, marche vers le catafalque et crie:
    - Ouvrez ce cercueil ! …
    L’évêque d’Albi se lève et demande des explications.
    - Ouvrez ce cercueil ! répète le cordelier. Je ne continuerai à dire cette messe qu’après avoir acquis la certitude que le corps du seigneur d’Amboise est bien là …
    Alors, les gardes retirent le drap mortuaire et ouvrent le cercueil.
    L’assistance pousse un cri:
    - Il est vide !
    Aussitôt, princes, évêques, prêtres mitrés, moines, pénitents et gens du peuple, pris de panique, courent vers la porte et s’enfuient.
    Et jamais, jamais, on ne retrouva le corps de Charles d’Amboise …
    " Histoires extraordinaires "  Guy Breton & Louis Pauwels, Albin Michel, 1980.
    « Le baiser de la mortDurandal, l’épée de Roland »
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